VII
AVANT LA BATAILLE

Il faisait froid ce matin-là. Lorsque Bolitho monta sur le pont pour sa promenade rituelle, l’air glacé descendu du Grœnland le piqua sévèrement.

Le ciel était vide de nuages, mais presque aussi hostile que la mer gris de plomb.

Il s’aida d’une lunette pour chercher les autres bâtiments et observer l’activité matinale à bord. On reprenait le réglage des voiles et on en établissait de nouvelles pour rétablir la formation. La Vigie était totalement invisible, sauf peut-être de la hune.

Le second arpentait le bord sous le vent et les cheveux roux qui s’échappaient de dessous sa coiffure faisaient la seule tache un peu colorée du pont.

Il n’y avait rien à y redire, Wolfe était officier en second, il obtiendrait peut-être un commandement s’il avait de la chance, mais Dieu sait quand. Sa seule raison d’être consistait à faire du Benbow un instrument parfaitement réglé et à le tenir à la disposition de son commandant dans la meilleure forme possible.

Bolitho chassa toutes ces tâches routinières de ses pensées pour se concentrer sur ce qu’il avait, lui, à faire. Au cours des deux derniers jours, ils avaient navigué plein ouest avant d’obliquer vers le nord. Deux jours pendant lesquels ils avaient abandonné leur patrouille en Baltique. Et s’il se trompait ? Et si, dans son envie impétueuse d’exploiter le succès de son escadre, en dépit des doutes et des avertissements d’Inskip, il était passé à côté de l’essentiel ?

L’enthousiasme qu’ils avaient tous ressenti en voyant revenir le Styx couvert de glorieuses cicatrices ne pouvait durer éternellement. Il fallait qu’il se décidât sans tarder : poursuivre ainsi ou reprendre la patrouille le long de la côte. Il avait renoncé à conduire ses bâtiments, ou une partie d’entre eux, en Irlande, avant de se montrer incapable d’établir le contact avec l’escadre française, et tout cela à cause d’une lubie. Voilà une chose qui serait fort mal prise, tant par Damerum que par l’Amirauté.

Il s’arrêta en entendant la grosse voix de Wolfe.

— Ainsi, monsieur Pascœ, il me revient que vous sollicitez le transfert du matelot Babbage ? Vous voulez le mettre à l’abri, en quelque sorte ?

Il se penchait au-dessus de l’officier, comme un géant dégingandé.

— C’est-à-dire, monsieur, répondit Pascœ, qu’il a été en rôle de force à Plymouth. Il vient de Bodmin et…

— Et moi, grommela Wolfe, je viens de Bristol, cette foutue ville, et ça nous mène à quoi, hein ?

Pascœ essayait de discuter.

— M. l’aspirant Penels est venu me voir pour solliciter ce transfert, monsieur. Ils ont été élevés ensemble, Babbage a travaillé pour la mère de Penels à la mort de son père.

— Autre chose encore ? – Wolfe hochait la tête, assez content de lui. Bon, je sais déjà tout ça. C’est la raison pour laquelle je les ai séparés, dès que j’ai eu connaissance de leurs relations, si j’ose dire.

— Je vois, monsieur.

— Oh non, vous ne voyez rien du tout, monsieur Pascœ, mais faites bien attention. Vous me demandez une chose, je vous réponds non. A présent, prenez quelques hommes avec vous et allez vous occuper de ce garde-corps dans la misaine. Mr. Swale me dit qu’il a cassé sous l’effort. Ces chiens ont dû utiliser du bois de rebut pour le fabriquer, qu’ils aillent au diable !

Pascœ salua et s’engagea sur le passavant. Lorsqu’il fut hors de portée, Bolitho appela :

— Monsieur Wolfe ! Voulez-vous venir un instant, je vous prie ?

Bolitho était plutôt grand, mais il avait l’air d’un nain à côté de Wolfe.

— Amiral ?

— Je n’ai pu m’empêcher d’écouter cette conversation. Peut-être auriez-vous l’amabilité de m’en dire davantage ?

Wolfe se mit à sourire, toujours aussi peu ébranlé.

— Certainement, amiral. J’ai vu l’officier responsable de la presse, à Plymouth, lorsqu’il a amené quelques matelots à bord. Il m’a parlé de Babbage, il m’a expliqué qu’on l’avait envoyé à Plymouth pour porter un message à un négociant.

— Cela fait une bonne trotte, de Bodinin jusque-là.

— C’est vrai, amiral. Quelqu’un voulait se débarrasser de lui, pour que sa capture se passe sans histoire ni commérages, si vous voyez ce que je veux dire, amiral.

— La mère de Penels ? fit Bolitho en fronçant le sourcil.

— C’est mon avis, amiral. Avec son fils à la mer, plus de mari, elle se cherchait… euh… un nouveau mari et Babbage pouvait devenir gênant, en continuant à habiter chez elle, à assister à tout. Elle ne pouvait pas savoir que Babbage allait se retrouver dans le même écubier que notre jeune Penels.

— Merci de m’avoir raconté tout cela.

Bolitho songeait à ce malheureux Babbage. Il n’était pas rare de voir des employeurs ou des propriétaires se débarrasser d’un domestique indésirable de cette manière : on l’envoyait faire quelque chose et on prévenait le détachement de presse ; la suite était facile à imaginer.

— Mr. Pascœ fera un bon officier, amiral, continua Wolfe, et je ne dis pas ça pour gagner vos faveurs. Il apprendra assez tôt de quoi sont capables les femmes, c’est pas la peine de le tourmenter avec ça pour le moment.

Il salua et s’éloigna en marmonnant.

Bolitho reprit sa promenade. Il découvrait le second sous un jour insolite. Je ne dis pas ça pour gagner vos faveurs. Il n’y avait qu’à le regarder pour en être convaincu !

— Ohé, du pont ! La Vigie en vue devant, sous le vent !

L’officier de quart notait dans le journal de bord la première observation de la journée. Loin derrière la corvette, L’Implacable du commandant Rowley Peel surveillait l’horizon, clair désormais, et le capitaine songeait sans doute au combat difficile du Styx en espérant avoir la même chance. Il avait vingt-six ans, c’est tout ce que Bolitho savait de lui. Pour l’instant.

Un claquement de pieds sur le passavant bâbord, un gros bosco arrivait en se dandinant. Il vint saluer l’officier qui remettait en place la couverture de toile du journal.

— Vous d’mande pardon, monsieur Speke, y a eu une bagarre dans la batterie basse. Un homme a frappé un officier marinier avec un outil, monsieur.

A en croire Herrick, Speke, second lieutenant, était un officier compétent, mais avec une fâcheuse tendance à perdre son calme pour un rien.

— Très bien, Jones, répondit-il sèchement. Appelez le capitaine d’armes, je vais porter les faits au journal de bord à l’intention du second. Qui est-ce, à propos ?

— Babbage, monsieur, la division de Mr. Pascœ – puis, comme si cela lui revenait soudain : Il a envoyé cet officier marinier à l’infirmerie, monsieur, il lui a fendu le crâne ou peu s’en est fallu.

Speke acquiesça, l’air sévère.

— C’est bon, mes compliments à Mr. Swale. Dites-lui de faire préparer un caillebotis dans la journée.

Bolitho gagna la descente, il n’avait plus d’appétit pour son petit déjeuner.

Naviguer à la recherche de l’ennemi, périr si nécessaire, voilà qui était suffisamment pénible. Y ajouter une séance de fouet n’allait pas améliorer les choses.

 

— Avez-vous de nouvelles instructions à me donner, amiral ? demanda Herrick, qui passait la tête par la portière.

Il avait sa coiffure sous le bras et son vieux manteau de mer élimé détonnait avec la chambre joliment meublée.

Bolitho écoutait le silence, le bâtiment et ses six cent vingt hommes retenaient leur souffle. Le ciel était clair de nuages, il ne pleuvait pas, mais l’air restait humide et malsain entre les ponts, on pressentait que le mauvais temps n’allait pas tarder. Ni la frégate ni la corvette n’avaient signalé quoi que ce fût, si ce n’est une goélette assez rapide qui s’était éloignée aussitôt : corsaire, contrebandier ? Ou seulement bâtiment de commerce besogneux qui tentait en tout et pour tout d’éviter les ennuis ?

Bolitho se tourna vers son ami ; il savait trop bien ce qui le préoccupait. Ce n’était pas gentil pour lui, songeait-il. C’est lui qui avait eu cette idée et l’avait conduit à ne pas tenir compte des nouvelles apportées par le brick. C’est lui qui avait monté ce plan qui consistait à gagner le large pour rencontrer l’ennemi en eaux libres. Dommage qu’il ajoutât ce nouveau souci à tous les autres. Il lui demanda doucement :

— Puis-je vous aider, Thomas ? C’est au sujet de cette punition, n’est-ce pas ?

Herrick le regardait.

— C’est cela même, amiral, cela me tourmente. Le jeune Adam est venu me trouver, à propos de Babbage. Il prend sur lui la responsabilité de ce qui s’est passé, il me considérera comme un vrai tyran si je reste les bras croisés.

— Vous savez, pour Babbage ?

— Oui, Mr. Wolfe m’a raconté – il leva les yeux vers les barrots. Je ne le blâme pas naturellement, il entre dans son rôle d’épargner ce genre de soucis à son commandant… comme je le faisais dans le temps pour vous, ajouta-t-il en s’efforçant de sourire.

— C’est bien ce que je pensais.

— J’ai examiné en détail toute l’affaire, Cet officier marinier a provoqué Babbage, probablement sans le faire exprès. Babbage est orphelin, ce qui n’a fait qu’empirer les choses.

Bolitho hocha la tête : pas besoin de se demander pourquoi son neveu était aussi bouleversé. Lui aussi était orphelin.

— Nous ne pouvons nous désintéresser de cette affaire, Thomas.

— Non, amiral. C’est là le drame. S’il s’agissait de n’importe qui d’autre, je n’hésiterais pas. Qu’il ait tort ou raison, je ne puis laisser l’un de mes officiers mariniers se faire massacrer. Je déteste le fouet, vous le savez bien, mais on ne peut tolérer ce genre de chose.

Bolitho se leva.

— Voulez-vous que je monte sur le pont ? Ma présence montrerait à tous qu’il ne s’agit pas d’un caprice, mais que je considère cela comme mon devoir.

Les yeux bleus de Herrick étaient perdus dans le vague.

— Non amiral, c’est mon bâtiment. S’il y a eu faute, j’aurais dû m’en rendre compte moi-même.

— Comme vous voudrez, répondit Bolitho en souriant, l’air grave. Il est tout à votre honneur, Thomas, de vous préoccuper ainsi du cas d’un homme en ce moment.

Herrick se dirigea vers la porte.

— Voulez-vous parler à Adam, amiral ?

— C’est mon neveu, Thomas, je suis très proche de lui. Mais, comme vous me l’avez dit quand j’ai hissé ma marque à bord du Lysandre, il est l’un de vos officiers.

— Je réfléchirai à deux fois avant de faire une autre remarque de ce genre, soupira Herrick.

La porte se ferma, une autre s’ouvrit. Yovell, le secrétaire, entra avec ses dossiers.

Des coups de sifflet résonnaient au-dessus, les boscos criaient :

— Tout le monde sur le pont ! Tout le monde à assister à la punition !

Yovell leva les yeux vers la claire-voie et lui demanda :

— Voulez-vous que je ferme, amiral ?

— Non.

Ils étaient tous les mêmes, à essayer de lui cacher un univers qu’il connaissait depuis l’âge de douze ans.

— Vous allez noter de nouveaux ordres pour l’escadre. Nous changerons de route cet après-midi pour regagner notre zone de patrouille.

Il entendait la voix de Herrick, lointaine, comme étouffée derrière un mur. Il parlait de manière claire et distincte, c’était tout lui. Il sentit son estomac se contracter, il savait pertinemment que Yovell l’observait.

Des roulements de tambour, puis le sifflement des lanières qui cinglaient les dos nus, sec comme un coup de pistolet. Bolitho voyait la scène comme s’il était sur le pont. Des visages crispés, le bâtiment qui continuait d’avancer, imperturbable, pendant l’exécution du châtiment.

Au troisième coup, Babbage commença à hurler. Un cri horrible, plein de terreur, qui faisait songer à une femme en train d’agoniser.

Vlan !

— Dieu nous garde, amiral, murmura Yovell, i’supporte pas trop bien la chose.

Deux douzaines de coups constituaient la punition minimale méritée par Babbage après ce qu’il avait fait. La plupart des commandants lui en auraient infligé une centaine ou davantage. Herrick avait réduit la sanction autant qu’il avait pu, afin d’épargner le supplicié sans risquer de réduire à néant l’autorité de cet officier marinier lorsqu’il reprendrait son service.

Vlan !

Bolitho se leva brusquement : ces cris déchirants lui perçaient les tympans, comme des coups de couteau.

Le tambour se tut, quelqu’un cria pour rétablir l’ordre. Bolitho entendit alors un autre cri, loin, très loin, du haut de cette hune qui lui donnait le vertige.

— Signal de La Vigie, amiral !

Bolitho se laissa retomber sur son siège. Son cœur battait à tout rompre, il serra convulsivement les bras du fauteuil. Les hurlements continuaient, mais le fouet s’était arrêté, Rester assis lui demandait un effort physique, littéralement.

— Montrez-moi donc ces dépêches que vous souhaitiez me faire signer.

Yovell soufflait bruyamment.

— Euh… bien sûr, amiral.

Il posa sur la table la chemise entoilée dans laquelle il conservait les précieux documents.

Bolitho parcourut des yeux la grosse écriture ronde et soignée. Il était incapable de lire un mot, il ne voyait que cette frêle corvette qui envoyait une volée de signaux pour relayer, sans aucun doute, ce que lui avait transmis L’Implacable.

Quelqu’un frappa, Browne entra précautionneusement.

— Signal de L’Implacable, amiral : « Cinq voiles dans le noroît ! »

— Merci, fit Bolitho en se levant, tenez-moi informé.

Et, comme l’officier s’apprêtait à se retirer, il ajouta :

— Comment cela s’est-il passé, je veux dire, sur le pont ?

Browne répondit, impassible :

— L’homme qui a été puni n’a pu supporter le fouet, amiral. Au cinquième coup, le chirurgien a demandé au bosco de s’arrêter pour l’examiner – il eut un bref sourire. Il peut remercier la vigie d’avoir ouvert l’œil. On peut dire qu’il a eu de la chance.

— C’est une façon de voir.

Bolitho rassembla rapidement ses idées.

— Je monte avec vous.

Il cherchait son chapeau, mais Ozzard apparut comme par miracle et le lui tendit.

Ils montèrent ensemble et sortirent dans l’air glacial.

Le caillebotis était toujours fixé sur le passavant, les hommes de quart finissaient de nettoyer les dernières gouttes d’un sang noirâtre.

Herrick s’avança vers lui, inquiet.

— Je suis venu voir ce que sont ces cinq voiles, lui dit Bolitho dans un sourire – et, voyant l’air préoccupé de Herrick : Ç’a été dur, n’est-ce pas ?

— Oui, très dur. J’aurais interrompu la séance de toute manière. Enfin, j’espère que je l’aurais fait.

Il se retourna pour observer les signaux qui montaient aux vergues du Benbow en vue de transmettre les nouvelles aux autres vaisseaux. Les pavillons pointaient vers tribord avant.

— Quels que soient ces nouveaux venus, amiral, ils auront l’avantage du vent.

Bolitho acquiesça d’un signe. Il était content de voir que Herrick avait gardé ses réflexes et notait encore le moindre détail. Enfin, presque.

— Nous ne verrons rien avant deux heures d’ici. Faites donner à manger aux hommes avant le poste de combat.

— Vous croyez vraiment qu’il s’agit de Ropars et de son escadre, amiral ? lui demanda Herrick en souriant de toutes ses dents.

Loveys, le chirurgien, toujours aussi pâle, arrivait pour rendre compte de l’état de Babbage. On avait l’impression de voir la mort en personne.

— Et vous, Thomas, vous ne croyez pas ?

— Je n’aurais jamais cru avoir autant de plaisir à l’arrivée de l’ennemi, amiral. Mais, après le spectacle auquel je viens d’assister, je veux bien faire une exception !

 

Bolitho entendit des bruits de pas précipités et en conclut que les vigies de Herrick avaient enfin aperçu les voiles. Il avala une gorgée du café particulièrement fort que lui avait préparé Allday : il avait comme un arrière-goût de cognac.

— Vous savez bien que je ne bois jamais dans ces moments-là !

— Mais nous naviguons habituellement, sous des climats plus chauds, lui répondit Allday, nullement décontenancé. Cela vous donnera des forces.

Le factionnaire appela de l’autre côté de la porte :

— Aspirant de quart, amiral !

C’était Aggett, le plus jeune de ces « jeunes messieurs » du Benbow. Bolitho se tourna vers lui, aussi calmement qu’il le put.

— Mr. Browne vous présente ses respects, amiral, nous venons juste de recevoir un autre signal de L’Implacable.

— Oui, eh bien, monsieur Aggett, fit patiemment Bolitho, je ne lis malheureusement pas dans vos pensées !

Le jeune homme rougit :

— « Huit voiles inconnues dans le noroît ! » amiral.

Bolitho réfléchit à cette nouvelle dorme. Il était huit heures, les choses empiraient.

— Mes compliments à l’officier des signaux. Dites-lui de transmettre à La Vigie qui relaiera à L’Implacable : « Reconnaître les bâtiments en vue et rendre compte à l’amiral ! »

Peel n’avait sans doute pas besoin qu’on lui dictât cet ordre, mais cela pourrait le soulager de savoir qu’il avait le soutien du vaisseau amiral. Depuis le départ du Styx, son rôle était encore plus important, pour ne pas dire vital.

Allday prit le vieux sabre et attendit que Bolitho eût levé les bras pour lui boucler son ceinturon.

— C’est mieux ainsi, amiral.

— Vous êtes trop sentimental, Allday, répondit Bolitho en tendant sa tasse à Ozzard.

Il jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre pour s’assurer que le vent n’avait pas changé et que la lumière n’avait pas baissé, puis monta sur le pont.

Les timoniers s’affairaient à leurs pavillons comme de beaux diables, les signaux montaient aux vergues, redescendaient, répétaient les messages, faisaient l’aperçu, posaient de nouvelles questions. Il nota une fois de plus que ces experts semblaient aimer et respecter Browne et sa désinvolture inimitable.

Et Browne n’en perdait pas une miette. Inskip avait peut-être raison, ce garçon finirait à Whitehall ou au Parlement.

Herrick et Wolfe pointaient leurs lunettes par-dessus les filets remplis de hamacs, plusieurs officiers désœuvrés en faisaient autant.

Un officier marinier toussa discrètement, Herrick se retourna pour accueillir son supérieur.

— Avez-vous entendu, amiral ? J’ai envoyé le sixième lieutenant sur le croisillon du grand mât avec une lunette. Les autres vaisseaux sont en vue, il y en a huit, mais je ne sais pas encore de quelle taille.

— Signal de La Vigie, amiral ! cria Browne : « Ennemi en vue ! »

Bolitho le regardait sans rien montrer.

— Faites l’aperçu, puis signal général : « Préparez-vous au combat ! »

Il ne fit même pas attention à l’excitation qui naissait autour de lui, il n’entendait pas les grincements des drisses.

— Vous aviez raison, Thomas.

— Je ne suis pas sûr d’en être content, grimaça Herrick.

— Autorisation de rappeler aux postes de combat, monsieur ? lui demanda Wolfe en saluant.

— Oui, allons-y.

Les tambours battaient le rappel, marins et fusiliers jaillirent des écoutilles et des échelles comme une véritable marée humaine. Ils avaient pressenti ce qui arrivait et, pour la plupart, n’imaginaient même pas que leur amiral pût éprouver des doutes ou leur commandant de l’inquiétude.

Bolitho entendait le bruit des cloisons de toile que l’on roulait pour les ranger contre le bordé. Le moindre objet, les coffres, le mobilier, on descendait tout sous la flottaison pour dégager le plus possible le bâtiment de ce qui pouvait gêner. Le pont inférieur allait devenir la batterie basse, une double rangée d’affûts de l’avant à l’arrière. Les trente-deux-livres roulaient, on ôtait les housses, les mousses répandaient du sable sous les pieds des canonniers. La même agitation régnait autour des dix-huit-livres du pont principal, partiellement abrités sous les passavants qui couraient de la dunette au gaillard d’avant.

Bolitho arrêta ses yeux sur les canonniers qui servaient les pièces de dunette. Ils se déplaçaient en silence, comme à l’exercice, vérifiaient les palans de leurs neuf-livres, inspectaient leurs instruments comme des chirurgiens, tandis que des serpents écarlates de fusiliers passaient entre eux pour gagner l’arrière ou le gaillard et de là vers les hunes. D’autres se rendaient aux panneaux pour y remplir une mission nettement moins appréciée, consistant à empêcher les hommes éventuellement pris de panique d’aller se réfugier en bas.

Cette mesure était malheureusement une nécessité. Certains, rendus littéralement fous par le tonnerre de la canonnade, la vue atroce du combat qui se déroulait autour d’eux, essayaient de chercher le salut dans les profondeurs de la coque.

Il entendit Wolfe qui s’écriait d’une voix pleine de colère :

— Mais bon sang de bois, monsieur Speke ! Monsieur Speke ! L’Indomptable a encore battu son propre record ! Il est prêt avant nous !

— Signal de L’Implacable, amiral ! annonça Browne en essayant de déchiffrer ce que l’aspirant avait noté sur son ardoise : « Cinq bâtiments de ligne, deux frégates et un transport. »

Bolitho emprunta une lunette à un aide-pilote et grimpa dans les haubans. Les servants qui attendaient sous ses pieds le regardaient comme s’ils s’attendaient à voir, sous l’élégante redingote et les épaulettes dorées, autre chose qu’un simple mortel.

Il attendit un peu, le temps de laisser la lunette se stabiliser contre les enfléchures qui vibraient. Le Benbow monta paresseusement le flanc d’une lame qui arrivait en diagonale et qui souleva doucement la quille avant de le laisser retomber dans le creux suivant.

Pendant ces quelques secondes de calme, Bolitho aperçut l’ennemi pour la première fois. Il ne s’agissait plus seulement des éclaboussures marron que font des voiles écrues sur un fond de ciel sombre, non, il voyait les bâtiments. Et il savait pertinemment que son homologue français faisait la même chose que lui au même moment.

Six gros vaisseaux rangés en deux colonnes. Le second de la ligne au vent arborait une marque de vice-amiral. Si Bolitho avait encore le moindre doute, voilà qui l’effaçait.

Les deux frégates se trouvaient un peu plus loin, attendant probablement à l’écart de l’escadre le temps de jauger les forces de Bolitho, surtout en matière de bâtiments de cinquième rang dans leur genre.

— J’estime qu’ils font route au sudet, cria-t-il à Herrick.

— C’est aussi mon avis, amiral ! répondit le commandant en prenant son ton le plus officiel, car la moitié de la dunette avait les yeux fixés sur lui.

Bolitho attendit la lente montée de la coque le long de la lame suivante. Il voulait voir le transport. Il se trouvait sans doute en queue de la colonne sous le vent, la meilleure situation pour prendre le large ou pour bénéficier de la protection des frégates si on lui en donnait l’ordre. Mais que transportait-il donc ? Certainement pas du ravitaillement, mais plus probablement quelques-uns des soldats d’élite de Napoléon, de ceux qui ne savaient même pas ce que signifiait le mot défaite. Le tsar de Russie aurait certainement besoin de leurs précieux conseils avant de se jeter dans l’arène. Ou bien encore, peut-être s’agissait-il de troupes envoyées pour s’assurer des bâtiments marchands britanniques. Au moins, songea Bolitho avec un petit sourire, ceux-là se trouvaient désormais hors de portée de Ropars et l’attaque du Styx avait sans doute refroidi l’ardeur des Suédois et des Prussiens, qui devaient avoir désormais moins envie de soutenir les ambitions du tsar.

Il redescendit sur le pont et tomba sur l’aspirant Penels, qui le regardait comme un condamné à mort.

— Venez donc par ici, monsieur Penels.

Le garçon accourut et s’attira quelques ricanements en se prenant un pied dans un anneau de pont.

— Vous avez eu une bien rude journée, ce me semble.

Penels faiblit sous son regard. Douze ans, pas de père, expédié à la mer pour devenir officier du roi. Ce qui venait d’arriver à son ami Babbage avait dû lui faire un gros coup.

— C’était mon ami, répondit Penels en reniflant. Mais maintenant, je ne saurai pas quoi lui dire si je le rencontre.

Bolitho songeait à la réaction de Wolfe, qui prenait tout cela fort calmement. La mère de Penels avait rencontré un autre homme. Dieu sait que la chose arrivait assez souvent chez les femmes de marin. Mais Penels, s’il portait l’uniforme d’officier de marine, n’en restait pas moins un petit garçon. Un enfant.

— Mr. Pascœ a fait ce qu’il a pu, reprit doucement Bolitho. Peut-être Babbage aura-t-il encore plus besoin de vous, après ce qui vient de se produire. J’ai l’impression que les choses se passaient plutôt dans l’autre sens, jusqu’ici ?

Penels le regardait fixement, cette réflexion le laissait sans voix. Que l’amiral se préoccupât de son sort était déjà assez inouï. Qu’il eût en outre fait cette remarque sur Babbage était tout bonnement invraisemblable.

— Je… je vais essayer, amiral, finit-il par bredouiller.

Wolfe tapa impatiemment du pied, Penels se hâta de regagner son poste à tribord et le second aboya :

— Allez aider le premier lieutenant, monsieur Penels. Enfin, si je puis dire… je crois que je me sentirais encore plus en sûreté avec un Français qu’avec vous, monsieur !

Et se tournant vers Speke, il lui fit un énorme clin d’œil.

Le vieux Grubb se moucha bruyamment avant de laisser tomber :

— Le vent est stable, amiral, du plein ouest et ça ne bouge guère – et, jetant un coup d’œil au sablier fixé près de l’habitacle : Y en a plus pour longtemps, si vous voulez mon avis.

Bolitho regarda Herrick en haussant les épaules. Plus pour longtemps ? Mais avant quoi ? La nuit qui allait tomber, la mort, la victoire ? Le pilote aimait bien lâcher de ces prédictions un peu énigmatiques. Il avait enfoncé son énorme poing dans la poche de son vieux manteau de quart tout élimé, et Bolitho se dit qu’il devait jouer avec son sifflet en fer-blanc, paré à les entraîner jusqu’en enfer si besoin était.

Herrick se montra moins charitable :

— Grubb commence à se faire vieux, amiral. Il devrait poser son sac à terre et se trouver une excellente femme qui s’occuperait de lui.

— Par Dieu, Thomas, fit Bolitho en souriant. Depuis que vous vous êtes marié, vous ne pouvez pas vous empêcher de refaire la vie des gens !

Allday, qui se tenait appuyé contre le pied du grand mât, se sentit un peu soulagé. Il avait toujours essayé d’évaluer ses propres chances en observant le comportement de Bolitho dans ces moments-là. Il tendit le cou pour voir ce qui se passait au-dessus du passavant et observer les autres bâtiments. L’ennemi. Les deux escadres s’avançaient l’une vers l’autre et formaient comme une gigantesque pointe de flèche dont la direction du vent aurait constitué la hampe. Pourtant, les Français avaient l’avantage du vent, ils étaient plus nombreux. Il se retourna pour regarder ceux qui se trouvaient près de lui. Les plus vieux vérifiaient leur matériel : platines, poires à poudre, écouvillons et chasse-bourre. Ils avaient pourtant déjà vérifié et revérifié cent fois. Et lorsqu’ils en auraient terminé, ils recommenceraient. Ils connaissaient par cœur le déroulement de l’action : l’approche lente et implacable, le fouillis des mâts et des voiles qui devenait progressivement bâtiments, formations. Cela vous mettait les nerfs à vif d’observer tous ces préliminaires avant l’inévitable empoignade finale.

Les jeunots voyaient les choses d’un œil différent. Chez eux, l’excitation se mêlait à la peur, une peur à vous glacer les sangs, mais il y avait aussi la perspective de changer enfin des exercices harassants et du travail quotidien qui vous brisait les os.

Légèrement à l’écart des équipes de pièces et des hommes qui assureraient la manœuvre pendant la bataille, les officiers mariniers vérifiaient leurs rôles et inspectaient ce qui leur revenait. Entre les rangées d’affûts, çà et là, les taches bleu et blanc des officiers et des aspirants. En bas, dans la batterie basse, c’était le même spectacle, mais dans l’obscurité angoissante d’un entrepont confiné derrière les sabords fermés.

Le lieutenant Marston, des fusiliers, se trouvait sur le gaillard d’avant, en grande conversation avec les servants des deux grosses caronades. Allday se souvenait, lui, du lieutenant fusilier du Styx, assis, la tête entre les mains, rendu aveugle par des éclis de bois.

Le major Clinton était à l’arrière avec le sergent Rombilow, à qui il indiquait du bout de son bâton de commandement le pierrier installé dans la hune d’artimon. Pour Allday, les fusiliers étaient de manière générale des gens un peu fêlés, et Clinton ne faisait pas exception à la règle : pas de poste de combat sans qu’il prît son bâton de commandement, tandis que son ordonnance portait pieusement son sabre qu’il tenait comme le saint sacrement.

Allday aperçut Pascœ qui passait lentement derrière ses pièces, à l’avant. Si les vaisseaux conservaient la même route, il lui reviendrait d’engager l’ennemi en premier. Comme il ressemblait à Bolitho ! Il repensa soudain à Babbage, au spectacle horrible de cet homme qui se tordait en hurlant sous les coups de fouet. L’aide du bosco qui maniait le chat à neuf queues, tout blasé qu’il était, avait paru choqué par ce déferlement de cris.

Comme Bolitho, Allday aurait fait n’importe quoi pour Pascœ. Ils vivaient ensemble, ils avaient combattu et souffert ensemble et, si Babbage était cause de l’air préoccupé de Pascœ, Allday le haïssait.

Le bâtiment allait livrer combat et Allday se souciait comme d’une guigne de savoir qui avait tort ou raison dans l’enchaînement qui avait plongé le monde entier dans la guerre. On se battait pour ceux qui l’avaient jugée utile, pour son bâtiment, guère autre chose.

Les riches et les puissants pouvaient bien boire leur porto et jeter leur argent par les fenêtres, songeait Allday, mais c’était le monde auquel il était habitué, tel qu’il était. Et, si Pascœ avait la tête à autre chose à cause d’un imbécile, il allait courir plus de dangers que les autres.

Bolitho, qui observait son domestique, dit à Herrick :

— Regardez-le, Thomas. De là où je suis, j’arrive, ou peu s’en faut, à lire dans ses pensées.

— Oui, amiral, répondit Herrick en suivant Allday des yeux. C’est un bon bougre, encore que… Il aimerait mieux se faire arracher les yeux que de tomber d’accord avec vous !

L’air résonna soudain du départ d’un coup de canon et Wolfe commenta :

— Les Français seraient en train de tirer quelques coups de canon contre l’Implacable, amiral, que je n’en serais pas autrement surpris.

— Je vais ordonner à L’Indomptable et à La Vigie de se mettre sous notre vent, décida Herrick en se tournant vers Bolitho. Ils ont pris suffisamment de risques comme cela.

Bolitho le vit se diriger vers l’officier chargé des signaux et lui dire quelques mots. Aussitôt, les pavillons montèrent aux drisses. Herrick en avait fait du chemin, depuis le jour où il s’était retrouvé capitaine de pavillon, à bord du Lysandre. Il hésitait rarement et, lorsqu’il avait décidé de quelque chose, il le faisait avec l’autorité que donne la confiance en soi.

Browne cria :

— Ils ont fait l’aperçu, monsieur.

— Que croyez-vous que vont faire les Français ? demanda Herrick.

— Abandonner les frégates n’étant plus de saison, je dirais que Ropars va foncer sur nous de toute sa masse, A sa place, j’adopterais une formation en ligne de file, sans quoi le premier engagement opposera quatre des nôtres aux trois siens. En ligne de front, nos chances de perdre seront de 5 contre 4.

Herrick lui fit face, les yeux brillant d’espoir.

— Mais telle n’est pas votre intention, n’est-ce pas, monsieur ?

— Non – il lui frappa l’épaule. Nous allons percer la ligne ennemie en deux endroits.

Wolfe intervint :

— Les Français sont en train de se mettre en ordre de bataille, monsieur – l’admiration lui arracha un sourire. Et le transport semble être très loin en arrière de la colonne.

Bolitho lui prêtait une oreille distraite.

— Nous allons attaquer après nous être séparés en deux groupes. Le Benbow et L’Indomptable formeront le premier ; le Nicator et l’Odin tireront des bords plus loin sur l’arrière. Dites aux hommes de Browne de se tenir prêts pour les signaux.

Il s’éloigna pour inspecter à la lunette la formation française. Elle était encore en désordre, mais il remarqua immédiatement que le navire amiral conservait le second poste. Histoire d’observer la tactique de Bolitho avant d’arrêter lui-même sa conduite. Ou alors de laisser l’un de ses commandants encaisser le plus gros du choc.

Il retourna sur l’arrière, dépassa l’équipe des timoniers et alla examiner la carte de Grubb qui était fixée à une tablette à la poupe, Afin d’épargner à sa corpulence, songea Bolitho, l’effort considérable consistant à faire le chemin jusqu’à la chambre des cartes…

Les deux escadres se trouvaient manifestement dans un océan sans terre émergée, et pourtant la Norvège n’était distante que de cinquante milles environ au nord-est, et plus loin vers le sud-est s’étirait la côte danoise avec le Skagerrak et ses flots berceurs entre elles deux.

Bolitho, l’espace d’un instant, se demanda ce que faisait Inskip. Celui qu’il avait rencontré était-il bien le prince de la couronne qu’il prétendait être ?

Il longea la lisse d’arrière et son agitation, et regarda L’Implacable et la Vigie diminuer la toile afin de marcher parallèlement à l’escadre, la Vigie par-derrière comme un valet sur les talons de son maître.

Les français ne dévièrent pas de leur ligne, ne changèrent rien à leur voilure.

Herrick examinait ses propres voiles tandis que les vergues se stabilisaient et remarqua :

— Voilà qui va le faire deviner, monsieur.

Bolitho observait le français de tête. Comparable en taille au Benbow, il mettait déjà ses pièces en batterie. Certains, chez eux, devaient penser que la situation empirait. Ils étaient restés trop longtemps au mouillage pour résister à la pression de cette lente approche. Leurs officiers les tenaient occupés, ils n’allaient pas tarder à leur faire tirer quelques boulets pour leur mettre du cœur au ventre avant la bataille.

— Deux milles, monsieur, dit Grubb d’un ton maussade. Nous serons sur eux dans une demi-heure.

Il tapotait le sablier de son doigt boudiné.

Il y eut une sourde explosion, suivie, à quelques secondes, d’un tir pointé trop haut – une fine trombe – qui passa loin de la proue sur bâbord. Les hommes se moquèrent, et l’amusement gagna les vieux de la vieille à la poupe, qui maintenant avaient hâte de voir l’engagement se concrétiser.

— Chargez et pièces en batterie, s’il vous plaît. Dites à vos gars que nous allons engager le combat des deux bords aujourd’hui, mais qu’à tribord les sabords resteront fermés jusqu’à ce que nous soyons au milieu de l’ennemi.

Bolitho passa de l’autre bord du gaillard d’arrière, gêné dans sa marche par les équipes de pièces et le reste de l’équipage, marins, officiers, mousses, et Dieu sait pourtant s’il se sentait seul.

L’escadre ennemie était plus forte, mais il avait connu des situations plus délicates. Le manque cruel d’hommes et de canons, à bord de ses bâtiments, l’expérience le palliait. Les deux lignes convergeaient vers un point de cette eau grisâtre, comme si d’invisibles aussières gauchissaient leur trajectoire.

Il laissa sa main glisser et la maintint sur le sabre de tous les jours qu’il avait ceint.

C’est presque à son intention qu’il murmura : « Nous nous porterons contre le vaisseau amiral français. Ils sont tous loin de chez eux. Si le pavillon de Ropars tombe, le reste ne tardera pas à se disperser. »

Le français de tête, un soixante-quatorze, disparut momentanément derrière un ondulant rideau de fumée.

Grubb lança à son quartier-maître :

— Notez ça dans le journal, monsieur Daws : l’ennemi a ouvert le feu.

 

Cap sur la Baltique
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